L’imposant et timide Ryôshi caresse un rêve secret bien au-dessus de sa condition de pêcheur : devenir acteur de Kabuki. Mais hélas, il n’a pour public que sa petite fille. Néanmoins, il possède un autre talent qui lui permet, sans barque ni filet, de ramener entre ses mains les plus beaux et les plus grands poissons de la mer du Japon. Ce don, qu’il a reçu des dieux, lui vaut la jalousie tenace de tout son village.
Ce faux conte japonais, simple et implacable, mène le lecteur vers un dénouement tragique et bien connu : le cadeau d’une divinité est toujours empoisonné. En chemin, il croise des personnages picaresques et des trognes improbables, impossibles à oublier aussitôt qu’entrevus : Kikushi, l’apprenti samouraï trop curieux, Kyoko, la belle dame sans merci, et l’anonyme sorcière édentée de rigueur.
Gabriel Schemoul rêve un Japon à la fois familier et étrange, où des créatures maléfiques guettent, tapies dans les ombres du quotidien. Accessoires et décors sont choisis pour leur puissance expressive et l’impression de Japon naît, en réalité, de la virtuosité et de l’élégance du pinceau de l’artiste.
Un somptueux noir et blanc, enrichi de lavis et de touches de couleurs froides, rappelle l’atmosphère des grands films japonais des années 1950, signés Kurosawa ou Mizoguchi.
Un talent aussi précoce pourrait nous faire croire que, tel son héros, l’auteur a eu l’infortune d’être béni des dieux. Qu’il prenne garde !