Mes très chers, Benoît Preteseille est un génie! En sus de ses activités d’éditeur, de chanteur, de collectionneur, il a la bonté de nous faire des livres. Et pas un, pas deux mais trois, mes amis! Le cabinet des curiosités de l’artiste ne cesse de s’agrandir ; chaque année, il y ajoute consciencieusement quelques spécimens soigneusement choisis, épinglés, étiquetés. Mardi Gras ne fait pas exception, il nous a ramené de son expédition aux pays des monstres de magnifiques individus parfaitement conservés dans un mélange de formol et de papier couché. Et un faiseur de monstres de haut vol, le Docteur Moreau, ersatz de Victor Frankenstein décomplexé qui décide de lâcher ses créatures pour semer la pagaille, bousculer les bonnes gens et leur morale à quatre sous.
Mardi Gras met en scène, outre des émules enthousiastes du Docteur Moreau, qui taillent dans la chair vivante et la remodèlent au scalpel, un héros masqué qui lâche fous et estropiés en plein carnaval, semant la consternation. La fête tourne au cauchemar et la foule, venue là pour rigoler, tente de le lyncher. Qu’il prenne à de jeunes esthètes vêtus de noir la fantaisie de mettre en pratique le slogan d’André Breton en tirant au hasard dans la foule, et la société, effrayée, proteste. La violence en art doit rester formelle, limitée à la provocation et au scandale. Il arrive que cette violence ritualisée touche jusqu’au corps, dernier refuge du sacré, ultime objet du scandale, qui se transforme alors en matériau comme les autres. Et Benoît Preteseille d’enrichir son musée imaginaire de pratiques artistiques naguère controversées : musique bruitiste, performance, tatouage et art corporel. Comme dans L’Art et le Sang ou Maudit Victor, l’auteur dissimule derrière les codes du roman-feuilleton et le bric-à-brac de la Belle Epoque une réflexion cruelle sur l’Art et ses conventions. Beau ou laid ne sont que des mots. Démiurge à la Frankenstein, l’artiste va contre l’ordre, le dogme social ou religieux. Il ferraille du côté de la vie, de l’éphémère et du chaos. Alors peu importe le jugement que le public porte sur les monstres qu’il crée. A ses yeux, ils sont beaux parce que vivants.
Mardi Gras est un nouveau livre de la collection Raoul. 120 pages en bichromie, format 15 x 21 cm, pour seulement 16,50 euros.