Pour fêter l’arrivée du printemps, des mini-jupes et des muscles saillants, Jean Lecointre, infatigable chirurgien du collage numérique revient avec deux livres siamois aux titres évocateurs Femmes entre ailes et Hommes entre oeufs. L’artiste collectionne depuis longtemps toutes sortes de documents hétéroclites, vieux papiers, romans photos gay et autres revues de mode périmées afin de donner vie à de troublantes créatures organiques ou mécaniques. Au menu, une série de femme-fleur, homme-oiseau, femme-maison (qui n’est pas sans rappeler celle de Louise Bourgeois) et homme-cratère, entre visions fantasmées du corps féminin et clichés d’homo-érotisme. Des digigraphies numérotées et signées éditées par Arts Factory sont exposées à la librairie-galerie Le Pied de Biche. Sans jeu de mot.
En un jeu de mots capable de provoquer un orgasme chez Jacques Lacan, Femmes entre ailes suggère à la fois le fantasme masculin, exploité par la peinture, le cinéma ou la littérature de gares et d’ailleurs, et la femme oiseau, qui, de la sirène grecque à la grue cendrée des contes japonais, hante la mythologie. Moderne docteur Moreau, Jean Lecointre dissèque d’un scalpel affûté journaux et revues glanés dans les vide-greniers et les brocantes, pour fabriquer des monstres de papier. Chargés de références psychanalytiques, ses composites nous précipitent dans un univers étrange, obsédant, dont l’ambiance évoque le calendrier des postes revu et corrigé par David Lynch. Cet imagier insolite, parfois grotesque, prend des allures cauchemardesques. De quel accident génétique, de quelle expérience insensée, sont nés ces assemblages instables de plumes, de métal et de chair humaine ? Un corps de femme enchâssé dans une statuette africaine et on pense aux photos sadomasochistes de Man Ray, à la femme-poisson de Magritte, aux poupées de Bellmer, aux femmes-tiroirs de Dali. Les surréalistes aimaient à ligoter, découper, amputer le corps féminin. Et le coup de rasoir de Lecointre vaut bien celui de Bunuel. Mais ses créatures semblent inabouties, inachevées, ébauches peu viables tombées des mains d’un démiurge lubrique. Quel sort attend la femme- autruche, qui se cache la tête dans le sable ?
En un jeu de mots capable de provoquer l’épectase chez Roland Barthes, Hommes entre oeufs évoque à la fois la métaphore sexuelle la plus répandue au monde, qui associe testicules et œufs, et le thème artistique de l’homoérotisme. Archéologue détraqué, Lecointre exhume des fragments d’images jetées et oubliées, pour mettre au jour l’obscur objet du désir. Le sexe masculin apparait ici dans tous ses états, de l’obélisque dressé vers le ciel à la baleine échouée sur le sable. Et voilà le bon docteur Freud à la fête ! Calembours et associations d’idées se télescopent au pays merveilleux de Jean Boullet et Tom of Finland. De l’homme-dauphin au paysan et son gros outil, en route vers un coït tellurique, ces collages délirants et grinçants, fantastiques et satiriques, revisitent et subvertissent l’imagerie homosexuelle. On y retrouve le goût de l’artiste pour cette frontière mouvante et incertaine qui, dans les contes et légendes, rapproche animalité et humanité. Il avait en 1987 créé, pour la pochette d’un disque d’Indochine, un lézard en costume croisé, avant de réécrire l’Odyssée, à grand renfort de sirènes, de centaures et de chevaux ailés. Ses créatures énigmatiques, femmes-banquises, souris-anesthésistes et hommes-kangourous, à mi-chemin entre les films d’horreur de la Hammer et les compositions oniriques de Neo Rauch, nous rappellent la nature organique de la sexualité humaine.
Femmes entre ailes et Hommes entre oeufs sont deux livres de la collection Pierre, l’un rose, l’autre bleu. Ils mesurent 17x24cm et font 48 pages. Leurs couvertures sont souples avec rabats et ils sont imprimés en quadrichromie. Pour la modique somme de 14,50 euros, ils voleront gaiement vers votre bibliothèque.